Ma fille, mon trésor : quand l’amour maternel devient un scandale
— Tu es sérieuse, Camille ? Un body Dior pour un bébé de six semaines ? Tu veux qu’elle fasse la couverture de Vogue ou quoi ?
La voix de ma sœur, Mathilde, résonne dans la cuisine. Je serre Éléonore contre moi, son petit pyjama crème brodé d’un discret « E » en fil d’or. Je sens le regard désapprobateur de ma mère, assise à l’autre bout de la table, qui ne dit rien mais dont le silence pèse plus lourd que n’importe quelle parole.
Je n’ai jamais voulu être une mère comme les autres. Depuis que j’ai appris que j’étais enceinte, j’ai tout fait pour que ma fille ait ce qu’il y a de mieux. J’ai passé des heures à choisir chaque pièce de sa garde-robe, à comparer les matières, à imaginer son arrivée dans ce monde avec la douceur et l’élégance que je n’ai jamais eues enfant. Je voulais qu’elle soit entourée de beauté, qu’elle sente dès le premier jour qu’elle est précieuse.
Mais ce matin-là, alors que je verse du lait dans mon café, je sens la colère monter en moi. Pourquoi est-ce que tout le monde se permet de juger mes choix ?
— Ce n’est pas une question d’argent, Mathilde. C’est une question d’amour. Je veux qu’Éléonore ait ce qu’il y a de plus beau.
Ma sœur lève les yeux au ciel. — Mais tu ne vois pas que tu projettes tes propres frustrations sur elle ? Tu crois vraiment qu’un bébé a besoin d’un bonnet Hermès ?
Je me tais. Je repense à mon enfance à Limoges, aux vêtements usés récupérés chez les cousins, aux anniversaires sans cadeaux. Je me souviens du regard triste de ma mère quand elle comptait les pièces jaunes pour acheter du lait. Je me suis juré que ma fille ne connaîtrait jamais ce manque.
Mais depuis la naissance d’Éléonore, tout le monde semble avoir un avis sur mes choix. Même à la maternité, l’infirmière a souri en voyant la petite gigoteuse signée Jacadi.
— Elle va finir par croire qu’elle est une princesse, m’a-t-elle glissé en plaisantant.
Mais ce n’était pas une blague pour moi.
Le vrai scandale a éclaté le jour du baptême civil. Nous avions invité toute la famille dans notre appartement du 16ème arrondissement. J’avais commandé un gâteau sur mesure, décoré de fleurs fraîches et du prénom d’Éléonore écrit en lettres dorées. C’est là que tout a dérapé.
— Éléonore Apolline Isabeau ? Tu n’as pas trouvé plus compliqué ?
C’était mon oncle Gérard, toujours prompt à critiquer. Les conversations ont vite tourné autour du choix du prénom. Trop long, trop prétentieux, trop « bourgeois » selon certains.
— Tu veux qu’elle se fasse remarquer toute sa vie ? Tu penses à elle ou à toi ?
J’ai senti mes mains trembler sur la poussette. Mon mari, Antoine, m’a lancé un regard inquiet mais n’a rien dit. Lui aussi commence à douter parfois.
Le soir même, après le départ des invités, j’ai éclaté en sanglots. Antoine m’a prise dans ses bras.
— Camille… Tu fais tout ça par amour. Mais tu sais, parfois l’amour c’est aussi laisser de la place à l’imperfection.
Je l’ai repoussé doucement. Comment lui expliquer ce vide en moi que j’essaie de combler à travers ma fille ?
Les jours suivants ont été un enfer sur les réseaux sociaux. Ma cousine Lucie avait posté une photo d’Éléonore dans sa robe Chloé avec la légende : « Quand le luxe devient ridicule… » Les commentaires ont afflué :
« Pauvre gamine… »
« Elle va finir superficielle ! »
« Encore une bobo parisienne qui croit acheter le bonheur… »
Je me suis sentie humiliée, trahie par ma propre famille. J’ai voulu supprimer toutes les photos mais il était trop tard.
La nuit suivante, alors qu’Éléonore pleurait dans son berceau en bois clair, je me suis assise à côté d’elle. Je lui ai caressé les cheveux en murmurant :
— Est-ce que je fais fausse route ? Est-ce que je t’étouffe avec mes rêves ?
J’ai pensé à toutes ces mères qui font des sacrifices pour leurs enfants. Pourquoi mon sacrifice serait-il moins noble parce qu’il passe par des vêtements chers ? Est-ce vraiment si grave ?
Quelques jours plus tard, ma mère est venue me voir. Elle s’est assise en face de moi et a pris ma main.
— Camille… Je comprends que tu veuilles offrir le meilleur à ta fille. Mais le meilleur, parfois, c’est juste d’être là pour elle. Les souvenirs qu’on garde ne sont pas ceux des marques mais ceux des moments partagés.
J’ai pleuré dans ses bras comme une enfant.
Depuis, j’essaie de trouver un équilibre. J’achète encore de jolies choses pour Éléonore mais j’apprends aussi à lâcher prise. À accepter que l’amour ne se mesure pas en étiquettes mais en regards, en rires et en câlins du soir.
Mais parfois, quand je croise le regard des autres mamans au parc ou que je lis un commentaire acerbe sur internet, le doute revient :
Est-ce que je fais bien ? Est-ce qu’on peut aimer trop fort ? Ou est-ce simplement que notre société ne supporte pas ce qui sort de la norme ? Qu’en pensez-vous ?