Comment j’ai élevé une fille qui rejette toujours la faute sur les autres : le combat d’une mère face à l’irresponsabilité d’Evelyne

— C’est encore la faute de Madame Lefèvre ! s’écria Evelyne en claquant la porte de sa chambre. J’étais assise dans le salon, les mains crispées sur ma tasse de thé, le cœur battant trop fort. Encore une fois, ma fille rejetait toute la faute sur quelqu’un d’autre. Cette fois, c’était sa professeure de philosophie qui avait eu le malheur de lui mettre un 12 au lieu du 16 qu’elle estimait mériter.

Je me souviens encore de la première fois où j’ai senti ce malaise. Evelyne avait six ans, elle venait de casser le vase en porcelaine de ma grand-mère. Quand je lui ai demandé ce qui s’était passé, elle a pointé du doigt son petit frère, Paul, qui jouait tranquillement dans le couloir. « Ce n’est pas moi, maman, c’est Paul ! » J’ai voulu la croire, j’ai voulu la protéger. Je me suis dit qu’elle était trop jeune pour comprendre la gravité de ses actes.

Mais les années ont passé et rien n’a changé. À chaque bulletin scolaire décevant, c’était la faute des professeurs. Quand elle s’est disputée avec ses amies au collège, c’était parce qu’elles étaient jalouses d’elle. Même lorsqu’elle a raté son permis de conduire, elle a accusé l’examinateur d’être sexiste. Jamais, jamais elle n’a remis en question ses propres choix ou ses propres erreurs.

Son père, François, essayait parfois d’intervenir :
— Evelyne, tu ne crois pas que tu pourrais réfléchir à ce que tu aurais pu faire différemment ?
Mais elle haussait les épaules et détournait le regard.
— Papa, tu ne comprends rien. Tu n’as jamais été à ma place.

J’ai longtemps cru que c’était une phase. Que l’adolescence passerait et qu’elle finirait par grandir. Mais aujourd’hui, Evelyne a vingt-deux ans et vit toujours à la maison. Elle enchaîne les petits boulots qu’elle quitte au bout de quelques semaines, toujours pour les mêmes raisons : un patron injuste, des collègues hypocrites, un environnement toxique.

Un soir d’hiver, alors que la pluie battait contre les vitres et que l’odeur du gratin dauphinois emplissait la cuisine, Evelyne est rentrée plus tôt que prévu. Elle a jeté son sac sur la table et s’est effondrée sur une chaise.
— Ils m’ont virée !
Je me suis approchée doucement.
— Qu’est-ce qui s’est passé ?
Elle a levé les yeux au ciel.
— C’est toujours pareil ! Ils ne supportent pas qu’on leur dise la vérité. Je leur ai juste expliqué que leur organisation était nulle et que leur façon de traiter les clients était archaïque…
Je l’ai regardée, désemparée. Comment lui faire comprendre que parfois, il faut aussi se remettre en question ?

Le soir même, j’ai tenté une conversation délicate.
— Evelyne, tu sais… Parfois, il faut accepter qu’on puisse aussi avoir une part de responsabilité dans ce qui nous arrive.
Elle a éclaté de rire, amer.
— Tu veux dire que tout est de ma faute ? C’est ça ?
— Non, bien sûr que non… Mais peut-être qu’il y a des choses à apprendre de ces situations.
Elle s’est levée brusquement.
— Tu ne comprends rien ! Tu prends toujours le parti des autres !

J’ai senti les larmes me monter aux yeux. Où avais-je échoué ? Était-ce parce que je l’avais trop protégée ? Parce que je n’avais jamais su lui dire non ? Parce que j’avais voulu lui éviter toutes les souffrances que j’avais moi-même connues enfant ?

Les semaines suivantes ont été tendues. Evelyne s’enfermait dans sa chambre, sortait à peine pour manger. Je l’entendais parfois pleurer derrière la porte. J’aurais voulu la prendre dans mes bras comme quand elle était petite, mais elle me repoussait systématiquement.

Un dimanche matin, alors que François lisait le journal et que Paul était venu déjeuner avec sa copine Camille, Evelyne est descendue en pyjama, les yeux rougis.
Paul a tenté une approche :
— Tu veux venir marcher avec nous cet après-midi ? Ça te changerait les idées…
Evelyne a haussé les épaules.
— Non merci. De toute façon, vous ne comprenez rien à ce que je vis.
Camille a échangé un regard inquiet avec moi. J’ai senti le poids du silence s’abattre sur nous tous.

Ce soir-là, j’ai pris mon courage à deux mains. Je suis allée frapper à sa porte.
— Evelyne… Je peux entrer ?
Pas de réponse. J’ai entrouvert doucement.
Elle était assise sur son lit, le regard perdu dans le vide.
— Je voulais juste te dire… Je t’aime très fort. Et je serai toujours là pour toi. Mais il faut que tu comprennes que la vie n’est pas toujours juste. Parfois on tombe, parfois on échoue… Mais c’est comme ça qu’on apprend à se relever.
Elle a tourné la tête vers moi, les yeux pleins de larmes.
— Mais pourquoi c’est toujours si dur pour moi ? Pourquoi j’y arrive pas ?
Je me suis assise près d’elle et j’ai pris sa main.
— Peut-être parce que tu refuses de voir ta propre force. Parce que tu crois que tout vient des autres… Mais tu as en toi tout ce qu’il faut pour avancer. Il faut juste accepter de regarder tes propres faiblesses en face.

Ce soir-là, pour la première fois depuis longtemps, Evelyne s’est laissée aller contre mon épaule et a pleuré sans retenue. J’ai compris alors que le chemin serait long, mais qu’il n’était pas trop tard.

Aujourd’hui encore, je me demande : ai-je trop protégé ma fille ? Ou bien est-ce la société qui pousse nos enfants à fuir leurs responsabilités ? Et vous… comment faites-vous pour aider vos enfants à grandir sans les étouffer ?