Quand la Joie Devient Fardeau : L’Arrivée de Paul dans ma Vie
— Tu ne comprends rien, François ! hurle Camille, les larmes aux yeux, serrant notre fils Paul contre elle comme si j’étais devenu un danger.
Je reste figé dans l’encadrement de la porte, le cœur battant à tout rompre. Il est trois heures du matin. Paul hurle depuis une heure déjà. Je ne sais plus quoi faire. J’ai l’impression d’être un étranger dans ma propre maison, celle que j’ai héritée de mon père à Tours, celle où j’avais imaginé une vie paisible, loin des tumultes de Paris.
Pourtant, il y a six mois à peine, tout semblait parfait. Camille et moi étions ensemble depuis cinq ans. Je n’avais jamais été pressé de me marier, mais je lui avais promis : « Si un jour on a un enfant, je veux qu’il ait une famille stable. » À presque quarante ans, avec mon CDI dans une petite agence d’architecture et cette maison familiale, je me sentais prêt. Prêt à aimer, à protéger, à transmettre.
Le jour où Camille m’a annoncé sa grossesse, j’ai pleuré de joie. On a ouvert une bouteille de champagne — du vrai, pas du mousseux — et on a appelé nos parents. Ma mère a pleuré aussi. Elle répétait : « Enfin ! » comme si elle avait attendu ce moment toute sa vie. Le soir même, j’ai caressé le ventre de Camille en murmurant des promesses à ce petit être qui n’était encore qu’une idée.
Mais très vite, la réalité s’est imposée. Les nausées de Camille sont devenues insupportables. Elle ne supportait plus l’odeur du café le matin, ni celle de mon parfum. Je me suis mis à dormir sur le canapé pour ne pas la déranger. Les disputes ont commencé pour des broutilles : la couleur des rideaux dans la future chambre du bébé, le choix du prénom — elle voulait « Paul », moi « Louis ». Finalement, elle a gagné.
Ma mère s’est mêlée de tout. Elle venait chaque semaine avec des conseils : « Il faut allaiter au moins six mois », « Tu devrais repeindre la chambre en bleu ciel », « Camille a l’air fatiguée, tu devrais faire plus d’efforts ». J’étouffais sous ses remarques, mais je n’osais rien dire.
Le jour de l’accouchement, j’ai cru mourir d’angoisse. Camille hurlait, les sages-femmes couraient partout. Quand Paul est né, j’ai ressenti un amour immense… mais aussi une peur viscérale. Et si je n’étais pas à la hauteur ?
Les premiers jours à la maison ont été un cauchemar. Paul pleurait sans arrêt. Camille ne dormait plus, moi non plus. Elle m’a accusé de ne pas en faire assez :
— Tu travailles toute la journée et tu rentres tard exprès !
— Ce n’est pas vrai… Je fais ce que je peux !
— Tu ne comprends rien à ce que je vis !
Je me suis senti impuissant, inutile. J’ai commencé à éviter la maison. Je traînais au bureau, je faisais semblant d’avoir des réunions tardives. Mon patron, Monsieur Lefèvre, m’a convoqué :
— François, tu sembles ailleurs ces temps-ci. Tu veux en parler ?
J’ai haussé les épaules. Comment expliquer ce vide qui me rongeait ? Cette impression d’avoir tout raté alors que j’avais tout pour être heureux ?
Un soir, j’ai surpris Camille en train de pleurer dans la salle de bain. Elle murmurait :
— Je n’y arrive pas… Je n’y arrive plus…
J’ai voulu la prendre dans mes bras mais elle m’a repoussée.
— Laisse-moi tranquille !
J’ai compris alors qu’elle aussi souffrait. Qu’on était deux à se noyer dans ce rôle de parents qu’on ne maîtrisait pas.
Ma mère continuait d’appeler tous les jours :
— Tu sais, ton père aussi avait du mal au début… Mais il s’est accroché.
Je n’avais pas envie de m’accrocher. J’avais envie de fuir.
Un samedi matin, alors que je promenais Paul en poussette dans le parc Mirabeau, un inconnu m’a abordé :
— C’est dur au début… Mais ça passe.
J’ai souri poliment mais j’avais envie de hurler : « Et si ça ne passait pas ? Et si on n’y arrivait jamais ? »
Camille et moi avons fini par consulter une conseillère conjugale. Elle nous a dit :
— Vous traversez une crise normale… Mais il faut parler. Il faut accepter vos faiblesses.
J’ai fondu en larmes devant cette inconnue. J’ai avoué que j’avais peur de ne pas aimer mon fils comme il le méritait. Que j’en voulais à Camille de m’avoir entraîné là-dedans alors que je n’étais pas prêt.
Camille a pleuré aussi. Elle a dit qu’elle se sentait seule, incomprise.
Depuis cette séance, on essaie de se parler davantage. Mais rien n’est simple. Les nuits sont toujours courtes, les disputes fréquentes. Parfois je regarde Paul dormir et je me demande s’il ressent tout ce chaos autour de lui.
Je me demande si on finira par retrouver l’amour qui nous unissait avant sa naissance… Ou si devenir parents nous aura définitivement séparés.
Est-ce que d’autres familles vivent ça ? Est-ce que l’arrivée d’un enfant détruit forcément ce qu’on était avant ? Ou bien faut-il accepter de devenir quelqu’un d’autre pour survivre ensemble ?